P. H. Lancales : archives Journal d’un français en exil

BERLIN

Allongé sur le lit, mon regard se porte sur l’affiche du mur d’en face.
J’entends le tramway passer, et je me demande combien de temps encore il continuera dépasser. Quelques jours peut-être.

Si je me penche un peu, j’aperçois la Tour de la Radio. Il y a à peine un mois de cela, il n’y avait rien encore.

L’affiche annonce un concert des Psy Free. Sur un fond mauve et délavé et au travers de pâles volutes de fumées apparaît une femme élancée. Elle semble tenir dans sa main… un musicien.

Mon regard se porte à nouveau au-dehors, et la lune passe derrière la Tour.

Hier encore, j’étais au Club, boire un verre.

Une femme que je n’avais jamais remarquée se tenait là.
De profil, fumant avec élégance, chacun de ses gestes étaient calmes et mesurés.
Je continuais de l’observer, quand elle tourna lentement la tête vers moi. Nos yeux se sont croisés. Sans un mot, j’allumai une cigarette et allai m’asseoir auprès d’elle.
Elle me dit s’appeler Maria, et j’eus l’impression qu’elle m’attendait.

Sur Alexanderplatz, elle me prit le bras et se serra encore un peu plus, prétextant le froid.
Elle venait d’inventer l’arme ancestrale.
Arrivés en haut de l’escalier qui menait à son appartement, elle retira ses chaussures, puis, avec grâce, me guida vers sa chambre.
Sans allumer aucune lumière et avec beaucoup de douceur, je l’aimais.

Je la retrouvai plus tard dans la cuisine, ouvrant une bouteille d’alcool.
Nous mangeâmes un oeuf dur, un morceau de fromage, et bûmes un verre de vin pétillant, que je ne reconnus pas.

De nouveau dans sa chambre, et avec de la lumière cette fois, je l’aimais encore plus.
Tout d’abord, j’eus peur de la brusquer. Mais à l’expression de ses yeux, je saisis que pour la première fois, elle s’ouvrait au plaisir.

Dehors, la lune avait laissé la place aux étoiles.

Berlin, 1966